top of page

UBIK

L’Atelier de Recherche et Création Ubik emprunte son nom au roman de science-fiction visionnaire écrit par Philippe K. Dick en 1966. Point de départ de notre atelier, ce livre permet d’ouvrir sur une multitude de réflexions concernant notamment le développement des sociétés, le capitalisme, le rapport aux technologies, à la construction du réel, à l’usage et à la structuration des récits, à la place accordée aux rêves et à la mort.

À travers recherches et expérimentations, l’atelier propose d’ancrer artistiquement ces réflexions dans le contexte industrialo-portuaire du territoire dunkerquois. Ce dernier est fondamentalement lié à son identité industrielle qui a même façonné sa culture artistique (pensons au LAAC, implanté au cœur du port par l'industriel Gilbert Delaine). 

Nous souhaitons aborder cette problématique industrielle par le prisme du récit afin d’en dévoiler toute sa portée imaginaire et politique. Le système de production industriel est plus que jamais remis en cause du fait de son impact majeur dans les crises écologique, politique et sanitaire. Il marque notre monde, nos manières de penser, notre organisme. Il se glisse dans notre quotidienneté, nos intimités et nos projections. Que devient l’humain face à un monde régi par des contraintes de production, d’accumulation et de consommation ? Il nous semble que la science-fiction dystopique peut nous permettre d’ouvrir des pistes de réponse. L’ubiquité du roman de Philip K. Dick. est celle de l’industrie se glissant dans nos corps à tous, les corps de toute forme de vie ou celui d'une planète (écosystème). Elle innerve les multiples outils dont nous disposons pour percevoir et entrer en relation avec le monde. L’industrie relève ainsi de l'invisible, de l'immensité au microscopique, et peut être saisie par l’artiste, elle devient ensuite images, sons, formes et espaces.

Être artiste aujourd’hui c’est aussi tenter de répondre de ces modes de production ayant atteint une limite vertigineuse. Le site de Dunkerque de l'École Supérieure d'Art de Dunkerque-Tourcoing est un lieu privilégié pour effectuer une recherche artistique questionnant les fondements d’un monde où l'industrie est de plus en plus source d'interrogation, au regard des bouleversements environnementaux actuels et historiques.

Les rencontres avec différents intervenants artistes, chercheuses mais aussi avec les contextes industriels ont été déterminants dans l’émergence des productions artistiques des étudiant.e.s ayant participé à l’ARC. 


 

Notre 1er cycle intitulé Surfaces Sensibles fut consacré au nucléaire, une première dans une école d’art en France. Nous avons invité la photographe et chercheuse Agnès Villette ainsi que la curatrice et chercheuse Kyveli Mavrokordopoulou pour aborder dans un workshop et des conférences les relations entre nucléaire, récits de société et deep time. Elles ont notamment organisé pour l’école l’un des premiers Toxic Tours de France au sein de la zone industrielle Dunkerquoise. Guillaume Gouerou, artiste vigneron, a proposé dans un workshop d’aborder la sculpture par le biais de la transformation et de la dégradation de la matière.

 

Le second cycle engagé traite des relations entre industrie, datas et science fiction. Pour développer cette recherche au cœur de ce paysage industriel, nous avons ponctué l’année par la visite de divers sites industriels déterminants accompagnés par des acteurs du secteur, tantôt ingénieur, opérateurs ou techniciens. Nous avons eu l’opportunité de visiter le centre de formation Oléum qui forme des opérateurs dans le domaine de la pétrochimie sur le site de Total à Fort Mardyck. Nous nous sommes également rendus le long de la digue du Braek à Dunkerque où la monumentalité de l’industrie pétrochimique et sidérurgique se confronte à l’immensité puissante de la mer. Dans ce même écosystème, nous avons été accueillis par l’entreprise Travocéan qui construit et pilote des sous-marins pour enfouir les câbles de données et de puissance subaquatique qui relient nos continents. Enfin, en partenariat avec le Centre Culturel Suisse, Lauren Huret est venue placer les étudiant.e.s dans des états hypnotiques afin de créer un trouble dans leur rapport entre souvenirs existentiels et données numériques.


 

Pour les 3 à 5 années à venir, nous envisageons de donner une nouvelle ampleur à notre projet pédagogique en nous tournant vers le Détroit de Douvres, en Mer du Nord. Ce détroit, l’un des plus fréquentés au monde, est le visage même de l’activité industrielle et marchande européenne, et cela aussi bien historiquement qu’actuellement.

À partir du XVe siècle, de nombreuses bourses marchandes se créent successivement à Bruges, Anvers, Amsterdam et Londres, faisant du nord de l’Europe l’un des points centraux de l’activité économique mondiale. Activité qui va de paire avec l’évolution historique : l’art des Primitifs Flamands, puis de l’âge d’or hollandais, et le classicisme anglais sont tous liés à l’essor économique de la région, en lien direct avec la Méditerranée des Médicis (dans un premier temps), puis avec le reste du monde. Ce sont depuis les côtes hollandaises, au XVIIe siècle, que partent les caravelles d’un genre nouveau qui vont permettre l’essor d’un nouveau système commercial mondial qui prendra bientôt le nom de capitalisme. Les Anglais surpassent bientôt les Pays-Bas au XVIIIe siècle, suivis de près par les Français qui, au XIXe siècle, deviennent, pour un temps, la première puissance mondiale. Le port de Calais jouant un rôle crucial dans cette expansion. Et ceci, sans parler des industries qui, au Nord de la France et globalement le long du littoral de la Mer du Nord, marquent à jamais un paysage, une culture, et un imaginaire européen. Évoquons, enfin, le passé martial de la région, d’où s’élèvent encore de nombreux bunkers rappelant certaines heures sombres de l’Histoire, mais faisant également se souvenir de moments héroïques, comme avec l’opération Dynamo en 1940.

La Mer du Nord est ainsi profondément liée à l’histoire de l’Europe, du monde, et donc comme nous l’avons évoqué, à l’histoire de l’art. Là est où est l’activité humaine résident les artistes. Là où sont les richesses, se diffusent les œuvres. Mais ce n’est pas tout, le Détroit de Douvres, qui représente aujourd’hui encore 25% de l’activité maritime mondiale, est aujourd’hui l’un des signifiants mêmes des risques climatiques. Les prévisions envisagent que d’ici quelques années Dunkerque n’existera plus, noyée sous les flots, et que le même sort est promis aux villes comme Anvers ou La Haye. Ainsi, symbole d’un expansionnisme industriel, cette région risque d’en être l’une des premières à en incarner ses effets climatiques. La faune et la flore y est menacée, et les nombreuses éoliennes flottantes qui découpent l’horizon nous rappellent, en permanence, qu’il faut trouver une issue à un avenir de plus en plus incertain.

Évoquons également la Manche, où se perdent chaque semaines des migrants cherchant à fuir des conditions de vie devenues intenables, au Moyen-Orient ou en Afrique, faisant de la Manche un véritable cimetière marin.

 

Au sein de ce contexte politique et historique, nous cherchons donc à insuffler un nouveau souffle pédagogique et artistique. Les villes de Dunkerque, d’Anvers, de Rotterdam, de La Haye, de Douvres et de Margate sont reconnues pour leurs écoles d’art mais aussi pour leurs terreaux artistiques, avec de nombreuses scènes, des artistes et des musées importants.

L’ESÄ a déjà signé un partenariat avec The Margate School. Nous cherchons également à créer des partenariats avec les écoles de la Royal Academy of Art de la Hague aux Pays-Bas et la Royal Academy of Fine Arts d’Anvers en Belgique afin d’inventer ensemble une diversité de modalités de rencontres, de productions artistiques et théoriques, qui, tout en étant spécifique à ce détroit, raconteront un certain état de notre monde. Nous souhaitons amener les étudiants à déployer cela hors des espaces institutionnels de l’art pour ancrer leurs démarches et leurs fictions dans le réel, au contact des milieux très hétérogènes des travailleurs de l’industrie et de la mer.

 

S’agissant du détroit lui-même, nous avons identifié plusieurs pistes, concernant en particuliers, la multiplication des infrastructures construites en son centre : 

  • Le réseau de câbles sous-marins, qui  parmi la dizaine installée dans le détroit compte entre autres deux tracés, reliant Ostende et Broadstairs (à quelques kilomètres de Margate). 

  • Mais aussi, le projet encore en concertation du parc éolien en mer de Dunkerque. Il s'agit de la pose de 46 éoliennes à dix kilomètres des côtes et s’arrêtant sur la frontière belge. Un chantier gigantesque devant produire l’équivalent nécessaire d'électricité pour un million de personnes mêlant des questions écologiques, énergétiques, esthétiques et frontalières.

  • La circulation des minéraliers est particulièrement dense dans le détroit. Il serait possible d’accompagner l’un d’entre eux en bateau sur une partie de leur trajectoire entre deux ports.

 

Aussi, dans une réflexion post-Covid et post-Brexit, nous avons compris la nécessité de se rencontrer physiquement et d’imaginer des projets ensemble. Il est important pour les étudiant·es des différents sites de pouvoir profiter de la proximité de ces différents pays pour établir autant une recherche artistique qu’un futur réseau professionnel. Ce projet conduira les étudiant·es vers une réflexion sur le paysage commun qu’est le détroit, ainsi que vers de nouveaux rapports humains, interrogés par les nouvelles obligations climatiques. Notre idée consiste finalement à créer un pôle géographique, c’est-à-dire envisager de nouveaux liens inter-école au sein d’un même territoire, avec des enjeux climatiques communs, pour pouvoir créer un nouvel imaginaire culturel et artistique. 

Si la production d’expositions, de films ou d’éditions pourrait constituer des aboutissements médiatiques du projet, il serait avant tout une plateforme essentielle pour la mise en place de nouvelles pédagogies, non plus délimitées par des frontières, mais ancrées dans la réalité mouvante des biotopes.

https://ubik.esa-n.info/portfolio/nucleaire/toxic-tour/

https://vimeo.com/esadunkerquetourcoing

bottom of page